un écosystème « durable » en Guyane

29 janvier 2011 § 1 commentaire

S’inspirer des techniques agricoles passées : exemple d’un écosystème « durable » en Guyane

Les savanes côtières guyanaises qui sont émaillées de petites buttes viennent de livrer une partie de leurs secrets grâce au travail d’une collaboration interdisciplinaire et européenne, soutenue par deux programmes du CNRS. Les scientifiques ont découvert que ces vestiges d’un système agricole précolombien ont été construits il y a près de 900 ans. Surtout, ils ont mis en évidence que ces îlots bien drainés dans un milieu saisonnièrement inondé ont été investis par d’autres organismes (animaux et plantes) qui maintiennent encore aujourd’hui l’édifice en relief. Cet exemple de paysage modelé par l’Homme puis entretenu par la Nature pourrait servir à imaginer des systèmes d’agriculture « écologiquement » intensifs. Ces résultats sont publiés en ligne sur le site de la revue PNAS au cours de la semaine du 12 avril 2010.

Le littoral du plateau guyanais, de l’île de Cayenne jusqu’au Guyana, est parsemé de petites buttes, que l’on pourrait prendre pour de banales mottes de terre. L’origine de ces édifices est-elle naturelle ? Pour les habitants des environs, leur origine est mystérieuse et de nombreuses explications circulent. Certains affirment, par exemple, que ces buttes sont liées au passage répété de bovins dans ces savanes marécageuses. Pourtant, des études archéologiques menées à la fin des années 80 ont révélé que ces structures étaient le fruit de la main humaine.

Comment des champs construits par des Amérindiens précolombiens et abandonnés pour la plupart vers 1250, avant l’arrivée des Européens, ont pu persister jusqu’à nos jours ? Ils auraient dû disparaître du fait de l’érosion, des pluies, des incendies et des remaniements végétaux. Une équipe de recherche interdisciplinaire tente, depuis 2007, de répondre à cette question. Co-pilotée par Doyle McKey, écologue au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/Universités Montpellier 1, 2 et 3/SupAgro Montpellier/CIRAD/Ecole pratique des hautes études de Paris) et Stéphen Rostain, archéologue à l’unité « Archéologie des Amériques » (CNRS/Université Paris 1), elle réunit plus d’une vingtaine de spécialistes de diverses disciplines provenant de plusieurs organismes français et européens. En s’appuyant sur un large éventail d’expertises (archéobotanique, archéologie, paléoécologie, sciences du sol, écologie et imagerie aérienne), les scientifiques ont cherché à comprendre comment l’action passée de l’Homme sur ces paysages a pu moduler le fonctionnement actuel de l’écosystème.

Des champs conçus et exploités entre l’an 650 et l’an 1250

Cette étude confirme tout d’abord que des agriculteurs précolombiens ont édifié ces vastes complexes de champs surélevés au sein des savanes guyanaises. Ces franges côtières réputées inhospitalières subissent des inondations saisonnières  (alternance de périodes d’inondation et de sécheresse). Les Amérindiens ont construit des monticules bien drainés, ce qui a permis une agriculture sédentaire intensive. Ils disposaient donc d’une ingénierie agricole performante pour exploiter des terrains aujourd’hui jugés inaptes à cultiver. Les chercheurs sont parvenus à dater précisément certains de ces champs : l’un des sites étudiés remonte au XIIe siècle, le second plus ancien, au XIe siècle de notre ère. L’analyse de deux types de microfossiles vestiges de plantes – des particules en silice (phytolithes) découvertes dans les buttes, et des grains d’amidon trouvés dans les morceaux de plats en céramique mis au jour dans les villages précolombiens – a révélé qu’au moins trois plantes étaient cultivées à l’époque : le maïs – qui, étonnamment, est aujourd’hui absent du panel agricole -, le manioc et la courge. En construisant ces îlots asséchés, les Amérindiens ont produit de l’hétérogénéité entre la plaine inondée et la partie surélevée : la composition biogéochimique de ces deux zones diffère aujourd’hui encore jusqu’à 50 cm de profondeur.

Des paysages co-construits par l’Homme et la Nature

Une fois abandonnés, ces champs ont été colonisés par la Nature. Fourmis, termites, vers de terre, plantes et autres organismes se sont installés préférentiellement sur ces structures bien drainées. Des processus auto-organisés générés par ces « bâtisseurs » d’écosystèmes se sont alors mis en place. Ces organismes y apportent de la matière organique et minérale et en modifient la structure ainsi que la composition du sol. Grâce à leurs actions sur la porosité du sol, la capacité d’infiltration des eaux de pluies est neuf fois plus élevée sur les monticules que dans la plaine inondée, réduisant la sensibilité des buttes à l’érosion. Des mécanismes bio-géo-chimiques ont ainsi permis le maintien de ces structures surélevées, où la concentration en ressources initialement créée par l’Homme a été conservée.

Ces écosystèmes auto-organisés sont les dépositaires de l’héritage écologique des habitants précolombiens d’Amazonie. Cette technique agricole oubliée (1) – celle des champs surélevés – pourrait être source d’idées afin de concevoir des systèmes d’agriculture écologiquement intensifs. Ces résultats permettent d’identifier comment certains écosystèmes sont conservés à travers les siècles et de mieux comprendre l’histoire de la biodiversité amazonienne.

Ce travail a été soutenu financièrement par le CNRS et le ministère de la Culture et de la communication. Il a également bénéficié de la coopération du Centre spatial guyanais, propriétaire de certains des sites étudiés.

PhotoGuyane2


© Stéphen Rostain

Vue aérienne d’une savane de Guyane. Les vestiges des champs surélevés précolombiens apparaissent très nettement.


 

PhotoGuyane1


© Doyle McKey

L’archéo-botaniste José Iriarte remonte une carotte du sol pour analyse.


Téléchargez les visuels de ce communiqué (merci de respecter légende et copyright).

 

Notes :

(1) Des techniques similaires sont employées de nos jours par certaines populations africaines et d’origine africaine (par exemples, quelques agriculteurs haïtiens installés près de Kourou).

Références :

Pre-Columbian agricultural landscapes, ecosystem engineers, and self-organized patchiness in Amazonia. Doyle McKey, Stéphen Rostain, José Iriarte, Bruno Glaser, Jago Jonathan Birk, Irene Holst & Delphine Renard. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA. En ligne sur le site de la revue au cours de la semaine du 12 avril 2010.

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